Christian Poncet
A l’ombre du temps
Du 01 octobre au 30 novembre 2022
Les photographies de Christian Poncet sont immédiatement attirantes, souvent nostalgiques comme si elles prêtaient matière et forme à l’écho de nos souvenirs. L’attrait que nous éprouvons communément pour les rivages, qui font le sujet de cette série, explique partiellement cette puissance évocatoire,mais elle tient surtout à un mode particulier de représentation du paysage, à la magie du sténopé.
Le procédé de prise de vue qui porte ce nom capte la lumière à partir d’un trou minuscule pratiqué sur la face d’un boîtier de chambre noire : il nécessite un temps de pose important qui peut se chiffrer en heures, selon la luminosité ambiante. Cette lenteur d’imprégnation régénère la consistance de toutes les matières, car la lumière, s’attardant à s’incruster partout où elle se projette, compose une échelle de gris ouateuse et vaporeuse, en même temps qu’elle isole des noirs profonds. Avec le fondu des tonalités claires et le bougé des objets mouvants, un léger flou s’instaure, un flou d’atmosphère qui prête à ces paysages des allures impressionnistes renforcées par des ocelles sombres ou grisés dus aux intermittences de la lumière.
Pour autant, l’allusion à la peinture est quasiment fortuite dans les photographies de Christian Poncet, même si l’on ne peut s’empêcher de noter la similarité de quelques effets de la technique du sténopé avec des procédés anciens comme le tirage au charbon ou la gomme bichromatée qui ont servi à concrétiser l’intention initiale du mouvement pictorialiste. Son écriture photographique met en place une zone d’indistinction entre le réel et l’irréel, entre le monde tel qu’on le reconnaît et tel qu’il n’apparaît jamais sous nos yeux, comme ce paysage de montagnes, romantique à souhait, qui environne un tremplin de skateboard étalé sur toute la largeur de l’image. Avec une même étrangeté, on se retrouve en pleine science-fiction avec un pont flottant, destiné à des baigneurs estivaux, qui prend l’allure d’une station spatiale surplombant une planète.
Ces photographies nous communiquent un sentiment d’incertitude qui vient des rêves :les horizons se rétrécissent et les limites qui séparent les rivages de la mer et la mer du ciel s’estompent dans des valeurs de gris brumeuses, différenciées seulement par leur degré de clarté. Dans des sites balnéaires désertés, les rives ne sont plus qu’un décor de fond presque effacé pour laisser place aux jeux graphiques des câbles, des amarres, des drisses, des pantoires, des pylônes ou des pilotis qui surgissent comme des fragments d’une architecture imaginaire.
L’effet onirique ainsi produit, qui se démarque de la fidélité qu’on accole facilement à l’idée de la photographie, n’est ici le fait d’aucune interprétation. Il est le résultat du seul impact de la lumière sur une surface sensible, sans intermédiaire, filtre ou objectif, pour altérer son enregistrement. Les sténopés de Christian Poncet sont des images « pures », des écritures de lumière qui placent sur le devant de leur scène la matière signifiante de la photographie. C’est elle qui, oblitérant à peine le sujet visé, parvient à confondre la rive et le rêve avec la même facilité que montre notre langage à distinguer ces deux mots par une seule voyelle.
Robert Pujade